L’absence du social chez les Frères musulmans
Chercheur et Spécialiste des Mouvements Islamistes
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Tout au long de son histoire, la Confrérie des Frères musulmans était connue comme étant un courant religieux qui ne s’intéresse pas beaucoup à la question sociale et aux causes de la justice sociale. La confrérie avait donc plutôt tendance à se pencher vers la droite en ce qui concerne le côté économique. Et bien que la production intellectuelle de la confrérie soit abondante, les écrits qui ont abordé les causes sociales sont rares.
De plus, si le courant de la confrérie s’est largement répandu parmi les ouvriers, comme dans de nombreux autres secteurs de la société égyptienne, il n’y a jamais eu parmi les Frères des directions ouvrières qui défendent les droits des travailleurs en dépit du fait que des éléments actifs parmi les ouvriers font partie de la confrérie. L’action des Frères musulmans parmi les ouvriers se concentrait sur la prêche et leur progression dans les milieux des travailleurs fait partie de leur extension dans de nombreux domaines depuis le début des années 1990.
Or, les changements radicaux qui se sont produits dans la société égyptienne au cours des dernières années ont donné plus d’ampleur à la question sociale. Un phénomène qui s’est imposé à toutes les forces politiques et sociales, y compris la confrérie malgré sa tendance économique de droite et surtout qu’elle est la principale force d’opposition. Les changements qui se sont produits sont tellement importants qu’ils marqueront sans doute un début de changement dans le rang qu’occupe la question sociale à l’intérieur du plus grand et du plus ancien groupe islamique en Egypte et dans le monde arabe.
Les politiques de privatisation et de restructuration ainsi que le transfert vers l’économie du marché ont causé des changements radicaux dans la structure de la société égyptienne. Les phénomènes les plus importants sont la réduction de la classe moyenne, la hausse du taux de pauvreté pour atteindre 40 % de la population, en plus du taux de chômage. De plus, certaines professions dont les revenus étaient auparavant très satisfaisants ont perdu de leur importance. Et ce, en ajoutant la hausse exorbitante des prix des produits alimentaires et des services essentiels, en particulier l’habitat. En effet, il est devenu impossible pour ceux qui appartiennent à la classe moyenne d’obtenir un logis convenable. C’est ainsi que le gagne-pain est devenu la première préoccupation de la grande majorité du peuple, au point de leur coûter parfois leur vie. Et voilà que la société connaît un nouveau phénomène celui des « martyrs du pain », c’est-à-dire ceux qui meurent dans les longues queues devant les boulangeries !
Ainsi la question sociale occupe-t-elle maintenant le devant de la scène. Les protestations ont augmenté non seulement dans les secteurs des ouvriers et des artisans, mais aussi dans ceux des enseignants, des médecins, des journalistes, des professeurs des universités et même des juges !
Les Frères ont-ils réagi à ces changements, ou se sont-ils trouvés obligés de le faire ? C’est ainsi que la confrérie s’est intéressée à l’action syndicale depuis la moitié des années 1980 et jusqu’à la moitié des années 1990. Ensuite, il y a eu les infractions qui ont marqué les opérations de privatisation et de vente du secteur privé et dont les ouvriers ont subi les conséquences.
Toutes ces questions avaient alors commencé à être légèrement mentionnées dans le discours politique de la confrérie pour devenir ensuite l’une des questions essentielles qui le dominent.
Ceci est apparu clairement dans le rôle joué par le bloc des Frères musulmans au Parlement de 2000-2005 pour se renforcer au cours du Parlement actuel. Ils se sont alors intéressés à de nombreuses questions économiques et sociales, comme les répercussions de la vente du secteur public, les cadres des enseignants, des médecins et des professeurs d’universités, la compétence des municipalités, les Fonds des assurances sociales, la hausse des prix, etc. De plus, à la fin de l’année 2006, un grand nombre de Frères ont posé leurs candidatures dans les élections ouvrières pour la première fois. Bien que les autorités aient resserré l’étau autour d’eux au point de les interdire de présenter leurs papiers et de les emprisonner, il est remarquable qu’ils avaient, bien avant le scrutin, fait une déclaration officielle pour annoncer leur décision de s’engager dans les élections ouvrières. De plus, le nombre de candidats parmi les Frères musulmans était relativement important, contrairement à l’habitude qui était auparavant suivie dans la relation entre la confrérie et les communautés ouvrières. C’est alors que la confrérie a insisté sur ce dossier au point de commencer à former une fédération ouvrière parallèle à l’unique fédération dont le régime détient les rênes.
La situation actuelle nous pousse alors à s’interroger : Est-ce que ces événements signifient qu’un changement s’est produit dans la position des Frères musulmans envers la question sociale ou bien la confrérie a trouvé dans la scène actuelle l’occasion d’adopter des questions de forte présence dans la rue égyptienne, ce qui lui permet par conséquent de s’imposer dans de nouveaux domaines ?
Nous remarquons que malgré les changements survenus dans l’action sociale de la confrérie, rien ne prédit encore un changement idéologique concernant la question sociale. Nous ne trouvons encore que des déclarations qui mettent en garde contre la détérioration des conditions sociales et la propagation de l’injustice, de la pauvreté et de la corruption.
A ce propos, nous pouvons faire allusion aux déclarations faites par l’un des leaders de la confrérie et qui est membre du bureau de guide de la confrérie, le Dr Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, qui semble le mieux exprimer la pensée de la confrérie à propos de la question économique. Le Dr Abdel-Moneim Aboul-Fotouh a tendance à se rapprocher de la question de la répartition des richesses de l’Egypte et du danger de la présence des hommes d’affaires sur la scène politique. De plus, il critique le PND en disant qu’il est devenu un réseau d’intérêts économiques étroitement liés à la corruption.
De plus, la confrérie a promulgué un communiqué le 16 janvier 2008 sous le titre de « Autour de la cherté et de l’injustice sociale ». Il met en garde contre l’hégémonie des hommes d’affaires et contre la corruption qui envahit tous les domaines dans le pays. Il met également en garde contre la « Révolution des affamés ». Nous remarquons donc que le communiqué s’est concentré sur l’injustice sociale sans s’attarder longtemps sur l’injustice politique qui était toujours en tête des priorités du discours de la confrérie. Nous en arrivons à déduire qu’un changement probable dans la position de la question sociale chez les Frères peut constituer l’entrée vers un nouvel avenir pour la situation islamique en général et non seulement pour les Frères musulmans.
Alahram Hebdo
numéro 711